Une gestion à la Jack Sparrow : Pour le contrôle du désir de tout contrôler

 Dans Nouvelles

David Castrillon

Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)

Président – Réseau alternatif et communautaire des organismes (RACOR) en santé mentale de l’île de Montréal

 

Un personnage comme le capitaine Jack Sparrow – personnage populaire du film Pirates des Caraïbes – qui mène une vie composée d’imprévus, d’improvisation et d’un manque de planification, mais qui arrive toujours à ses fins, nous semble ridicule, drôle, irréel. Tenter d’inclure une telle représentation du travail de gestionnaire dans le monde des organisations peut donc, à juste titre, sembler inacceptable, surtout dans un paradigme centré sur l’ordre, le contrôle et la planification.

Mais qu’en serait-il si la gestion d’organisations était plutôt une affaire d’improvisation, de chaos et d’émergence, un peu à la Jack Sparrow?

Est-ce que la planification et les stratégies de contrôle des comportements, parfois sous le voile de programmes de motivation, sont les réponses au chaos? Est-ce qu’il est possible de tout anticiper? La vie nous apprend qu’elle est composée d’imprévus[1]. Quoi faire, donc, lorsqu’il est question de répondre à la réalité d’une organisation comprise comme un phénomène vivant, c’est-à-dire qui s’adapte à son contexte, qui est autonome, qui change ou évolue.

Est-ce que le capitaine Sparrow nous apprend quelque chose lorsqu’il se tire de situations difficiles sans qu’on sache trop comment il y est parvenu? Même s’il est un personnage caricatural, il nous apprend l’idée de la sérendipité.

 

Serendipité

La sérendipité, selon le philosophe François Flahault[2], est « la capacité de trouver ce qu’on n’a pas cherché; c’est l’attention portée à des choses apparemment sans importance, rencontrées occasionnellement, et l’art d’en tirer profit, notamment pour faire des découvertes ». Il s’agit d’une capacité à laquelle tous ont accès.

Prenons l’exemple d’un  bébé humain. Celui-ci apprend parce qu’il (et ses parents) vit dans l’imprévu, et parce qu’il prend ce qui se présente à lui sans le planifier. La sérendipité se vit intensément lors de la naissance. Il faut aussi que les parents vivent dans la sérendipité. Leurs erreurs (bien sûr qu’ils en font, et tant mieux), tant qu’elles ne soient pas trop importantes ni permanentes, vont permettre au bébé d’apprendre et de réagir à son environnement. Un parent visant la perfection, où tout doit être calculé, contrôlé et planifié, peut compromettre le développement de l’enfant. C’est d’ailleurs cette idée qui sous-tend la notion développée par les psychologues de mère suffisamment bonne.

Ce qu’on veut souligner, surtout, c’est que la sérendipité n’est pas accessible qu’à quelques personnes, elle fait plutôt partie d’une riche possibilité disponible aux humains.

 

Sérendipité et gestion

Lorsqu’il est question de la gestion d’organisations, intégrer la sérendipité comme qualité du gestionnaire devient un avantage pour agir. Ainsi, au-delà de planifier il faut être attentif aux autres, sans nécessairement avoir un but précis dans chaque rencontre. Il faut comprendre que les interactions humaines se développent de manière autonome, et donc agir en cohérence avec la richesse que ces interactions peuvent engendrer dans un contexte organisationnel.

Plutôt que d’essayer de contrôler les relations, il s’agit d’être attentif aux signes qui se présentent de manière imprévue. Mais pour y être attentif, il faut avoir certaines bases nous permettant d’être sensibles aux imprévus et aux émergences dans le monde des organisations – pour Jack Sparrow, la mer et son bateau étaient les bases qu’il connaissait bien. Cette capacité d’être attentif doit être alimentée par des questions sur nos façons de voir la réalité organisationnelle. Il faut être très solide sur la reconnaissance des idéologies qui façonnent notre perception et notre compréhension des relations et de l’organisation. Le gestionnaire, en ce sens, est donc près de la philosophie.

Par exemple, pour trouver ce qu’on n’a pas cherché dans le monde des organisations à vocation sociale (OBNL, organisme communautaire, ACA, etc.), il faudrait, à la base, se poser des questions sur nos conceptions du développement humain, sur notre compréhension de la nature de ces types d’organisations, sur les tensions présentes entre les multiples logiques le traversant (économique, politique, psychologique, cognitive, philosophique…)  sur le contexte idéologique les entourant, entre autres. Il s’agit d’une compréhension qui dépasse les questions de base sur la gestion. Cette optique permet d’apprendre que les buts des organisations dépassent, de loin, la mission. La gestion ainsi comprise ne répond donc pas juste au contrôle des processus, des projets, du temps, et du changement dans l’accomplissement de la mission et l’avancement vers une mission.

 

La gestion d’un phénomène vivant

L’organisation est plutôt, dans cette approche, un phénomène social dont la nature est de « vouloir » continuer de vivre. Pour ce faire, elle se sert de plusieurs moyens pour continuer, dont possiblement (pas toujours) d’une mission et d’une vision explicites. Ainsi comprise, elle  ressemble plus aux imprévus de la mer, ou, plus spécifiquement, aux imprévus de la vie. Le but ultime sera donc la pérennité, au-delà de la finalité officiellement acceptée d’une mission ou des intérêts particuliers des personnes qui composent une organisation.

Ce type de compréhension de l’organisation exige, on le redit, un type de gestion qui reconnaît la valeur de la sérendipité, qui reconnaît le travail d’identification de nos idées, de nos concepts, de nos images sur l’organisation, et qui permet aussi d’avoir une pluralité de logiques, tout cela afin de trouver, comme le fait Jack Sparrow, ce qu’on n’a pas cherché lorsque l’on est à la mer dans ce bateau qu’est une organisation.

 

[1] La mort, quant à elle, n’implique pas d’émergence : elle sera, selon cette idée, un état de planification absolue.

[2] Flahault, F. Be yourself (2006). Au-delà de la conception occidentale de l’individu. Mille et une nuits. Barcelona

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