Le suicide comme phénomène social

 Dans Nouvelles

David Castrillon

Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)

 

En cette Semaine nationale de prévention du suicide, nous voulons partager, parmi les façons d’aborder le suicide, une approche relationnelle et collective pour le comprendre et pour agir. Cette approche se veut une alternative scientifique, méthodologique et pragmatique à l’approche médicale/individualiste.

 

La parole des personnes

Le documentaire Bye[1], sorti en décembre 2017, nous présente Alexandre Taillefer et sa quête de compréhension de l’acte du suicide de son fils. Il débute par une discussion avec un groupe de jeunes, passionnés des jeux vidéo comme l’était son fils, qui nomment des exemples actuels d’éléments relationnels et contextuels associés au suicide.

Ces jeunes expriment le manque de filet social, d’un contexte accueillant, d’une place significative parmi les autres comme facteurs d’exclusion sociale. Ils permettent d’entrevoir la difficulté de vivre dans un monde de plus en plus individualiste et qui véhicule des messages de concurrence, de performance et d’efficacité. Ils mettent en lumière la complexité de la vie en commun et expliquent comment certains défis sont facilement supplantés dans le monde virtuel.

Les jeunes parlent donc du contexte social, et expriment plusieurs solitudes qui nous amènent à observer les racines relationnelles de leurs expériences individuelles. Pourquoi les efforts de compréhension et d’action quant à l’exclusion sociale empruntent-ils donc plutôt une autre voie, celle des interventions individuelles, biochimiques ou médicales ?

 

Le suicide : au-delà de la maladie mentale

Quoique plusieurs recherches démontrent le besoin de penser la santé mentale des individus en termes relationnels et contextuels, l’individualisation et la médicalisation de comportements humains se présentent de plus en plus comme solutions à la souffrance des personnes.

Lorsque des expériences individuelles et des comportements sont considérés hors normes, le réflexe actuel est de se pencher sur la biologie du phénomène. Une des conséquences de cette approche est que la signification que donne la personne à son propre agir tend donc à perdre son poids. La signification de son acte lui appartient de moins en moins dans cette approche, et commence à appartenir à l’expert, au psychiatre, à l’institution. L’expérience humaine, avec toute la complexité qu’elle peut comporter, devient alors un cas médical qui trouve sa source en dehors des interactions humaines de la personne touchée. Cette perspective est même contestée dès l’inception de réflexions scientifiques : la génétique, la neuroscience, le développement de l’enfant et la primatologie, parmi d’autres sciences, nous mettent en garde sur la différence entre la recherche scientifique lorsqu’il s’agit de phénomènes biologiques et lorsqu’il s’agit de comportements humains. Par exemple, des approches actuelles en neuroscience nous montrent que notre cerveau est un organe social, donc qu’il faut fonder son hypothèse sur sa nature interactionnelle pour le comprendre[2].

Ainsi, parler du suicide en l’associant au terme maladie et s’embarquer dans une démarche médicale ou biologique semble oublier que l’expérience humaine individuelle est composée de nos interactions avec les autres.

 

Voies d’action

Certaines questions peuvent nous aider à penser le suicide dans un contexte relationnel : comment faire pour ne pas tomber dans l’individualisation de notre réalité et de nos expériences, autant dans le sens qu’on leur donne que dans les réponses qu’on y fournit? Peut-on penser des mesures de prévention du suicide par la création d’espaces accueillants, où le besoin humain fondamental de trouver une place significative parmi les autres, et les problèmes qui surviennent lorsqu’on ne la trouve pas, sont explicitement nommés et abordés? Est-il possible de favoriser des initiatives d’intervention existantes qui placent les réalités individuelles dans un contexte relationnel, tout en sachant que ces contextes sont à leur tour traversés et façonnés par nos institutions politiques, économiques, symboliques, idéologiques?

Lorsqu’il s’agit de comportements, de sentiments, d’états émotionnels humains, il faut évaluer la tension entre des réponses qui individualisent et médicalisent les problèmes et des réponses propres aux approches relationnelles et collectives. La violence extrême contre soi devient envisageable lorsque notre contexte relationnel nous met en conflit avec nous-même . Il faut donc aller plus loin qu’un rendez-vous psychiatrique ou une psychothérapie individuelle comme voies d’action.

 

[1] Comme il est décrit sur le site où le documentaire est publié, « Alexandre Taillefer a voulu comprendre ce qui avait poussé son fils à cette fin dramatique. Animé du désir de trouver des solutions afin d’améliorer la prévention et la détection du suicide, ainsi que les soins offerts en santé mentale, Alexandre est parti à la rencontre d’adolescents, de parents et d’experts. »

[2] Se référer aux recherches en neurosciences, en développement du nourrisson, psychiatrie critique (Gallesse, de Jaeger, Sterne, Thevarten, Flahault, entre autres). Voir aussi le travail d’Alain Banchard, Marye Boyle, Poland, entre autres, sur le manque de rigueur épistémologique et méthodologique dans les approches médicales-biologiques en santé mentale. Voir aussi la récente publication de la British Psychological Society Division of Clinical Psychology, Understanding Psychosis and Schizophrenia, surtout l’étude sur le manque de fiabilité des diagnostiques de maladies mentales. Voir également le travail en neurosciences de Di Paolo E, de De Jaegher H, de Damassio, de Gallesse, de Stern, parmi d’autres.

 

David Castrillon est directeur général du Projet Collectif en Inclusion à Montréal et président du conseil d’administration du RACOR en santé mentale.

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